E. du Perron
aan
F. Hellens

Brussel, 29 november 1930

Bruxelles, samedi.

Mon cher ami,

J'ai lu Le Fauteuil Rouge, que je te fais envoyer par la même poste. Je n'aime pas beaucoup cela; mais il y a de bonnes choses, et dans l'ensemble cela appartient à la partie de ton oeuvre que je préfère, la partie ‘humaine’ ou ‘autobiographique’, comme tu veux... Je crois que tu peux très bien conserver ce petit ouvrage, mais en faisant le contraire de ce que tu veux faire. Ne pas en faire un roman, mais une nouvelle de 45 pages, ou bien de 70. Il faut faire, à mon avis, plus serré, plus sobre, et surtout moins littéraire. Rapprocher du style de la Femme Partagée et de tes derniers écrits. - Relire, lentement, et barrer (ou remplacer) partout les phrases qui sonnent faux. (Je t'en ai indiqué quelques-unes.) - Il n'y a pas de trous, comme tu avais l'air de croire; au contraire, c'est trop long. A ta place, je supprimerais toutes les lettres - donc toute la partie - de la femme qui n'a écrit qu'une seule lettre assez jolie: la seconde. Pour le reste, cette créature gagnerait à être laissée à l'ombre, et à n'être connu que par reflet, dans les lettres de l'homme. Comme caractère, elle n'existe pas. Il n'y a qu'un drame, celui de François. - Si tu voulais faire un roman de ceci, il te faudrait tout recommencer; mieux vaut alors commencer une chose nouvelle.

Non, en supprimant 22 pages (lettres de la femme) et en ‘serrant’ le reste (perte de 3 pages peut-être), tu auras une nouvelle très bien, je crois; que tu pourrais publier avec En écoutant le bruit de mes talons et avec Le Rendez-Vous dans une Eglise en un beau volume, sous un titre nouveau. (Quoique moi je préfèrerais que ce soit sous le titre En écoutant, etc., que tu pourrais mettre en avant, surtout si c'est l'ordre chronologique).

J'aimerais assez relire cette histoire (En écoutant...) ne pourrais-tu pas me l'envoyer? Là aussi, il y a peut-être des choses à ramasser ou à changer. Pourtant, je crois que l'atmosphère, là, est très réussie: c'est comme un jour gris avec une pluie fuie, ininterrompue - c'est exactement, n'est-ce pas? ce que tu as voulu faire. - Mais fais attention aux ‘images’, à la ‘littérature’; expulsez la poésie de la prose! dans la prose, la poésie doit se dégager de l'atmosphère, jamais des phrases. Tu m'excuseras d'être pédant; mais dans tes oeuvres anciennes, cet abus d'images et de comparaisons est peut-être ce qui me gêne le plus.

Au revoir, à bientôt peut-être. Fais mes amitiés à Maroussia et porte-toi bien. Refais Le Fauteuil Rouge à Gistoux; c'est une excellente besogne de vacances. Il te faut pour cela 2 exx. du bouquin, de la colle, des ciseaux, puis ta plume et de l'encre. Si l'atmosphère de l'hôtel t'embête, demande à ma mère de travailler dans ma chambre; elle ne s'y opposera nullement; au contraire, tu seras reçu avec toute la sympathie voulue. Dis que je te l'ai conseillé. Il y a une table et une bouteille d'encre dans la chambre, tu devras apporter le reste!

Voilà, à bientôt.

Ton EdP

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