E. du Perron
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C.E.A. Petrucci

Modane, 26 april 1922

Modane, le 26 avril 1922

Ma chère Clairette,

Je continue mes ‘feuilles de route’, qui sont sans doute beaucoup moins enthousiastes et surtout moins héroiques que celles de Paul Déroulède, mais qui commencent à devenir pas beaucoup moins tragiques, il me semble! Jugez! - Hier, le matin, j'ai quitté Pise, avec intention de m'arrêter à Turin; dans le train j'ai trouvé un jeune Français très fatigué mais tout à fait aimable, qui venait de passer trois semaines à Rome, et qui me persuadait qu'il était moins fatiguant de dormir mal dans un wagon, que de dormir bien dans une chambre d'hôtel et se lever tôt le lendemain. Il fût convenu que nous resterions ensemble jusqu'à Paris où nous arriverions le lendemain - c'est donc aujourd'hui - à 10½ heures du matin. Tout allait bien jusqu'à Modane; à Turin nous changions de wagon, mais à Modane nous étions séparés par la douane, car il avait une malle dans le fourgon, qu'il devait chercher. Le train de Modane à Paris était rempli à crever, en cherchant mon jeune homme je perdais mon temps, et comme nous avions eu déjà trois heures de retard, que la neige tombait et que j'étais sûr de ne point dormir, je me suis informé des trains qui partaient le lendemain, et on m'annonçait un train qui partait à 8h.15 le matin et arriverait à 8h.10 le soir à Paris; c'était le même enfin que m'avait signalé notre ami au sourire d'or: il n'y avait plus de doute, c'était mon affaire. Je trouvais donc un hôtel ici, je dormais jusqu'à 7h. du matin et à 7h.½ j'étais à la gare: sûr de trouver mon train et une bonne place là-dedans.

- Mais le train qui arrivait était un train de luxe: je devrais payer un supplément de plus de 100 francs, moi qui n'en ai plus que 60!!!

J'espère que vous avez frémi.

Mais en même temps que vous avez compris que j'ai refusé avec beaucoup de dédain, et c'est cela la cause que je vous écris de nouveau ‘en route’, c.à.d. dans la salle du buffet de la gare où je suis immobilisé pour trois heures. Il fait un froid de loup, Modane est blanc et bleu de neige, et j'ai commandé du papier, de l'encre, etc. plus une bénédictine: pas parce que j'aime tant ce liqueur, mais parce que j'ai les mains gélés, et peut-être l'estomac!

A 11h.35 part d'ici un affreux omnibus qui ne sera à Paris que demain vers 6 heures. Je crois que je le prendrai, car ‘j'en ai marre’. Espérons que ma prochaine lettre sera de Paris.

Veuillez faire part de toute cette misère à madame Petrucci, afin que j'aurai deux personnes qui pleurent sur mon sort, au lieu d'une. [Note: Si vous lisez ma lettre, évitez toutes les fautes!]

Je compte vous lire bientôt et vous envoie toute mon affection. Mes respects à votre maman; et à M. Prunes.

De Paris je vous écrirai mieux. Donnez mon adresse indigène à M. Schumacher: Groote Lengkongweg 18, Bandoeng, Java. Qui sait si je ne pourrai pas lui rendre service.

A bientôt. Tout à vous

Eddy

En écrivant cette lettre j'ai passé presqu'une heure: il est 9 heures moins 5! -

Origineel: particuliere collectie

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