E. du Perron
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C.E.A. Petrucci

Brugge, 31 juli 1922

Bruges, 31 Juillet '22

Ma chère Clairette,

Nous voilà à Bruges: je vous écris assis à une table dans une petite brasserie sur la Grande Place, qui porte sur son enseigne le beau nom ‘Rozenbrouw’, et qui se trouve juste à côté de cette brasserie de l'Aigle qui doit un peu de son existence à André Demeulemeester je crois; - et devant moi, mais avec toute la Grande Place entre nous, est assis Jeffay dans une brasserie qui ressemble à la mienne et dont je ne peux pas déchiffrer le nom (vous savez que je suis myope.). J'ai commandé deux bocks, croyant Jeffay à un pas derrière moi, mais il s'est laissé tomber dans la première chaise sur son chemin et me voilà forcé d'avaler les deux énormes verres de bière blonde qui se trouvent maintenant, comme deux sentinelles, à côté de ce papier. Vous voyez un peu la situation? - J'ai devant moi le beffroi et Jeffay le ‘gouvernements-huse’. Nous nous reverrons ce soir au dîner je suppose.

Maintenant, voici mon adresse: Pension St. Christophe, Nieuwe Ghentweg 78, Brugge - ou ‘Bruges’ si vous voulez, étant plûtot fransquillon(ne). Ce n'est pas que j'y suis logé, car pour le moment nous avons trouvé une chambre dans un petit hôtel tout près d'ici qui est protégé par Saint Amand. Nous avons fait une promenade par toute la ville, derrière un homme à camion, avant de trouver quelque chose. Le pension Verriest nous demanda 22 francs par jours et par personne, ce qui faisait pâlir Jeffay. La plénipotentiaire de ‘St. Christophe’ était occupée de faire une visite et personne autre ne pouvait régler l'affaire. Une dame aimable et sans dents nous affirma qu'elle avait une chambre pour nous au pension ‘Notre-Dame’, qui se trouvait un peu plus loin que sa propre maison où se trouvait la dame et l'enseigne. Mais arrivés au ‘véritable’ pension nous trouvions une autre dame - avec une double rangée de dents, celle-ci! - qui nous affirma, et beaucoup plus décidée que la précédente, qu'elle n'avait aucune place pour nous. Nous regagnâmes (voilà le célèbre passé défini) la rue et l'homme au camion. Et nous voilà de nouveau sur la piste de guerre. Notre allié commençait à perdre sa bonne humeur et demandait ‘of ‘t nou nog verder rondgoât’.

Enfin, nous avons fini par être installés. Seulement, ce ne sera pas pour longtemps, car la chambre était réservée pour mercredi. Demain j'irai revoir la dame de ‘St Christophe’ et tâcherai d'y avoir ma vieille chambre avec ses souvenirs et son Moïse cornu. Vous rappelez-vous une lettre qui fût écrite là et qui fût ma première lettre en français? - En tout cas je demanderai de bien garder chaque lettre qui arrivera pour moi et j'irai la chercher chaque jour. Je compte de vous lire! - racontez-moi tous les événements de vos déjeuners et diners; préparez-moi, si vous voulez, un ‘carnet de repas’ mais parlez. Songez que je suis intéressé dans chaque jeune homme qui a un 20 pour ‘beauté’, bien entendu quand ce 20 est distribué par vos mains. (Je referai bientôt la liste.)

- Jeffay est venu s'asseoir à côté de moi, a fini dans un clin d'oeil son bock et vous fait faire ses amitiés. Je l'ai mis à l'oeuvre, il fait des dessins sur une feuille de ce papier. Ce sont des illustrations de notre voyage, j'y figure avec un nez en banane et des joues en cornemuse. Entre parenthèses: Jeff est ravi de se trouver à Bruges! Ici, m'a-t-il dit, il n'aura pas le temps de grogner. Il a raison: quelle ville intime, calme et calmante! (Je ne sais pas si le mot existe, c'est peut-être....... ‘calmeuse’?!) - A toute à l'heure, nous allons dîner; il est 7 heures ¼.

- Je continue dans le ‘salon’, une assez petite chambre où se trouvent déjà quatre personnes, tous des anglais. Pour le moment je vous envie votre style hâtif, bondissant, en traits de plume, pas recherché mais jamais long, - car ma foi, je ne sais que vous raconter. On est silent ici, on lit les journaux; Jeff fait une promenade; dehors, où il fait froid, une flûte joue ‘La Baya’ comme si c'était une prière musulmane.

Je suis fatigué, ‘ne forçons point notre talent’ (même quand nous avons 18 pour cela); finissons-en.

Je monte dans ma chambre, - après avoir posté ceci, bien entendu - je tâcherai de lire, d'arranger un peu mes ‘outils’ dont je compte me servir bientôt; je penserai à vous.

Demain ou après-midi peut-être, je vous écrirai de nouveau et mieux, j'espère. Vous savez l'adresse demandée maintenant; inutile de vous servir un superflu peu intéressant.

Mes respects à votre maman, un baiser

de votre

Eddy

[bijgesloten tekeningen]

Origineel: particuliere collectie

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