E. du Perron
aan
C.E.A. Petrucci

Brussel, 7 september 1922

Brux. 7 Septembre '22

Ma chère, Chère, Clairette chérie!

Voilà, ça y est! J'espère que cette lettre n'arrivera pas en morceaux, mais si c'est ainsi, vive la franchise! J'ai été bien contrarié en trouvant - ou en retrouvant - mon enveloppe; puis, imaginez-vous cela, en lisant que votre maman avait lu ma lettre! Mais maintenant j'ai un grand sentiment de repos, au fond. Qu'elle le sache. Si vous devez m'aimer toujours vous m'aimerez n'en déplaise qui que ce soit, j'espère, et si vous ne m'aimerez plus ce n'est pour faire plaisir à un autre que vous feriez des efforts pour m'aimer tout de même! Donc? Ça prouve que c'est une question entre nous deux; Ma foi, il me semble que j'ai assez lutté pour arriver à ce que vous m'aimiez un peu et que ce n'est pas parce que j'étais le mieux équipé pour cette lutte que j'y suis arrivé! Sur cela je regarderai toujours avec assez de fierté, Cherie! (je l'écris avec un c capital et je souligne le mot, que voulez-vous: c'est plus fort que moi aussi!) Je suis vraiment assez exaspéré par cette histoire de mes maudites enveloppes; mais il n'y en avait ici que des trop petites et celles-ci, et comme j'étais tout-à-fait dans la situation qui vous a fait employer votre papier ‘snob’, c.à.d. que je sentais aussi impérieusement le besoin de vous écrire vite-vite, j'ai commis cette stupidité et vous demande bien pardon. Aujourd'hui j'ai evidemment cherché tout de suite des enveloppes moins traîtreuses. Pauvre Clairetty! Songer que moi j'ai été l'innocente cause de votre première escarmouche avec votre maman après une paix si longue et dont j'étais justement si content. C'est plus que bête de ma part et aussi suis-je plein de remords. Mais - il faut me le pardonner mais vous savez que je vous rends vos franchises! - après tout je suis assez content que votre maman sache ce qu'elle sait maintenant; je me trouvais bien hypocrite et assez lâche envers elle.

Maintenant cet autre affaire qui est assez facheuse, en vérité! Elle est assez simple, il me paraît. Ma tante a naturellement entendu que nous avons été voir Assche et elle a compris que nous (mes parents) ont su qu'elle avait l'intention de l'acheter. Elle a immédiatement soupçonné Mlle Jeanne v.d.H. qui a nié, comme vous voyez de là. Je sais ceci parce que Mlle J. est venue ici un jour pour en parler avec ma mère qui n'était pas là, elle m'a donc vu et raconté que ma tante était furieuse, etc. - Maintenant des suppositions. Probablement Mlle J. - ou ma tante - une des deux - a parlé de l'affaire avec les Artôt qui en ont parlé avec votre oncle et votre tante. Et si votre tante n'avait pas su que vous en aviez parlé à ma mère (vous aussi) elle n'aurait vraiment pas pu vous faire des reproches. Pourquoi lui-avez vous dit cela? Quant à ce que mes parents auraient acheté le château; je vous l'ai dit, c'est ridicule. Mon père a enfin trouvé une maison rue Lesbroussard (?) (je ne sais pas encore le numéro et vous l'écrirai demain) où nous serons lundi prochain, et pour six mois au moins! Rassurez-donc tout le monde à cet égard et dites que vous le savez de moi, si vous voulez. Evidemment je ne parlerai pas de cette affaire à mes parents puisque vous le désirez, mais j'ai grande envie d'aller voir ma tante et de lui demander pourquoi diable elle fait faire un tel fracas d'une histoire assez insignifiante. D'ailleurs si elle est mécontente de ce que mes parents ont vus ‘son’ château elle n'a qu'à venir ici et le leur reprocher ouvertement; je ne vois pas trop bien ce que les Artôt y ont à faire et pourquoi le mécontentement de ma tante doit aller via votre tante dans votre direction!! Vous me le permettez; écrivez-moi bien vite alors. J'irai voir ma tante (qui m'aime beaucoup) et arrangerai la question sans vous nommer même! N'oubliez pas - en tout cas - que l'invitation pour voir Assche est venu de mes parents d'ailleurs; et que vous n'avez fait qu'accepter! Dieu, que les gens sont quasi-importants et bêtes! Vous avez raison de préferer Tripolini et Pia; j'approuve votre choix de tout mon coeur!

Voilà, j'aurais presque oublié de vous appeler ‘chérie’ sur cette page. Ce que je fais donc juste à temps: vous êtes consolée un peu, chérie? Mais qui a donc menti tellement, pauvre Clairette? Voici tout ce que j'en sais, moi, et je ne vous mens jamais. Peut-être que ceci pourra vous aider à comprendre. Ah, attendez, - j'allais oublier que Mlle J. avait trouvé que mes parents devraient dire qu'ils avaient lu un avertissement dans le Soir si ma tante viendrait leur demander pourquoi ils y sont allés; mais ma tante ne vous a jamais dit un mot. Aussi il ne s'agit nullement du fait que mes parents auront achetés A. mais qu'ils ont vus. C'est de vous que j'entends pour la première fois qu'on nous soupçonne de l'avoir acheté; mais je sais très très sûrement que ce n'est pas vrai. Mon père ne voudrait jamais s'isoler tellement; et ma mère parle toujours de retourner aux Indes. Ne croyez donc pas qu'ils m'ont laissé ignorer leurs intentions. Il n'y a jamais eu question entre eux d'acheter ce château. C'est une promenade en auto assez simple qui a des suites compliquées!

Brrr! - je me secoue vigoureusement!

- Allons; voyons maintenant ce qu'il y a encore à répondre, car je vais vite poster cette lettre. - Je relis votre lettre et cette phrase qui m'a fait bien froncer les sourcils quand je la lisais au ‘salon’: ‘quand elle a vu que vous m'appeliez chérie à chaque page elle a été affolée’ - me fait rire maintenant dans la solitude de ma chambre. C'est trop drôle au fond, Clairetty, chérie, de voir votre maman s'affolant de mes mots doux! Mais qu'elle m'en apprenne d'autres, je vous les enverrez! - Quant au directeur de poste de Sesto, que le diable l'emporte! Je voudrais qu'il pourrait lire ceci aussi, le vieux touche-à-tout! Ça manquerait encore que lui aussi y fourre son nez! Mettons qu'il n'a pas une raison pour qu'il comprenne mon français!

Et maintenant il y a tant dans votre lettre qui mérite une réponse moins hâtive. J'attends votre lettre de ‘demain’. Puis nous tiendrons ce conseil de guerre. Je cours poster cette lettre; je garde mes sentiments plus sincères pour une autre qui ne sera pas bourrée de détails ennuyeux. Je vous remercie et suis heureux. Je ne vous parlerai plus de Cocteau; aussi j'ai failli retenir mes observations pédantes, mais je le trouve un petit innovateur affecté, que peux-je y faire? (Mon français aujourd'hui est terrible mais j'écris en grande grande hâte.) J'ai commencé à lire Le Cirque Solaire qui commence à m'intéresser; je vous en reparlerai. Je travaille beaucoup et pourtant je ne suis pas content! A bientot........ chérie. Je vous embrasse tant que vous voulez.

Votre Eddy

(P.S. J'aurai bientôt un autre papier aussi.)

Origineel: particuliere collectie

vorige | volgende in deze correspondentie
vorige | volgende in alle correspondentie