E. du Perron
aan
C.E.A. Petrucci

Rotterdam, 26 november 1922

26 Novembre.

Avant de poster ma lettre j'ai relu la vôtre et je trouve encore des choses à répondre: par ex. que je n'ai pas trouvé votre amie ‘Criquette’ bien quelconque, mais vraiment antipathique et peu supportable; elle est peut-être très brave et fait partie (peut-être) de la célèbre vingtaine de Charles Graux, mais elle crie d'une façon bien vulgaire et elle a une voix de tambour-major. Je ne crois pas qu'elle vous aime beaucoup; elle doit vous envier, j'en suis presque sûr! - Ensuite je dois vous promettre de me couvrir, de soigner ma toux, de dormir, de ne pas travailler la nuit. C'est fait, à une condition: que vous expulserez le plus tôt possible, à coups de cravache, votre mal-de-tête! Puis je dois vous dire que je ne vous ai point trouvé une ‘institutrice’, mais une toute gentille jolie personne que j'aime..... beaucoup. Et que je n'aime pas savoir triste.

Encore plus: je me promène avec des gants! La vie est ironique, je vous l'ai dit déjà quelques fois, elle s'est moquée de moi; le jour suivant celui de mon arrivée, Ferdy m'a procuré de beaux gants bien chauds, absolument nécessaires, selon lui, et très agréables à porter, selon moi. Si vous avez mal dormi à cause de ce cauchemar, je vous en prie ma chère Clairette, reprenez vos plus doux rêves!...

Je travaille mal ici; si je devais rester toute ma vie à Rotterdam je me ferai à l'instant débardeur ou épicier, sachant que ce serait la fin inévitable. Je me trouve fréquemment en compagnie d'étudiants, de bons garçons, braves et honnêtes (comme Criquette), mais qui trouvent magnifique de parler de tout avec une bruyante indifférence, a devil-may-careness bien étudié, qui font de leur mieux pour bien jurer, boire, se battre (entre eux quand ils sont ivres et contre ces ‘plébéïens de la commerce’ quand ils ne le sont pas), qui mènent en somme une vie plein de crânerie, de jeunesse-trop-voulue, et de sottise! Ils me sont tout de même assez sympathiques, il y a un an j'aurais trouvé cette vie-là un état idéal. Maintenant ils m'abrutissent. Ferdy est tout à fait de mon opinion, il est quelque peu forcé de partager à cette vie, mais nous avons eu une sérieuse conversation là-dessus après une séance assez peu attrayante et j'ai retrouvé mon ami d'enfance. Il pose pour ce qu'il n'est pas, voilà le hic, et je crois qu'ils le font tous, avec quelques exceptions.

Je suis pour eux ‘l'homme qui vient de Paris’, ça me donne du prestige, je n'ai qu'à bluffer: ils gobent tout. Et puisque le bluff est le ton courant, je bluffe et je crâne avec eux, et je suis ‘reconnu’. Mais je suis bien content que cela ne va pas durer longtemps!

Voilà; tout ceci est pour mon ami Clairette. J'ai lu, hier soir, dans une étude sur....... le Mariage (!), du prof. Wynaendts Francken: ‘Il ne faut choisir comme épouse que cette femme dont on aurait fait son ami, si elle avait été homme.’ S'il ne s'agissait de cela; je serais déjà bien loin! Je vous confie à peu près tout, et ce n'est que quand vous défendez à tort et à travers chaque stupidité ‘Cocteau’, que vous me manquez, comme ami! D'ailleurs: chaque fois que vous cherchiez des discussions amicales, j'avais l'envie trop impérieuse de vous considérer de plus près.... que je ne l'ai jamais fait un ami: Le dégoût de Cocteau devenait un goût de Clairette! -

Faites mes compliments à votre maman et veuillez la remercier pour ses conseils. Et si vous voulez, je ne vois toujours aucun inconvénient à vous embrasser!

Eddy

Origineel: particuliere collectie

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