E. du Perron
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Julia Duboux

Brussel, 25 juni 1925

Bruxelles, 25-6-25

Ma chère Julia,

J'ai lu votre lettre; décidément, vous vous obstinez? Que peut-on contre tant d'obstination? Se résigner, et accepter; évidemment. Vous me condamnez en acceptant mon auto-dénonciation; vous aggravez même l'accusation; vous faites des citations; vous prononcez: ‘le seul coupable’; c'est on ne peut plus complet, quoique sans témoins.

Et votre dernier mot, si je ne résume pas trop mal est: ‘Vous m'avez rendue telle que je suis, c'est vous qui m'avez rendue telle, et je reste où je suis (ou ce que je suis).’

Se résigner et accepter; mais oui. C'est forcé.

Je me souviens que jadis, quand j'avais seize ou dix-sept ans, quand on se retrouvait entre amis après quelqu' absence, on se disait fièrement: ‘Je suis changé, tu sais’. Et on jouait son rôle jusqu'à se rendre compte de l'insensibilité de l'autre ou de sa propre fatigue.

J'ai connu, beaucoup plus tard, une femme qui me disait, un soir: ‘Quand on est une tourmentée on n'y peut rien; on a beau se raisonner, c'est de la peine perdue’. (Je cite aussi, mais de mémoire.)17

Eh bien? Après? - Accepter.

J'accepte, ma bien chère Julia, de tout coeur, si vous tenez absolument à ‘rester moderne’. Cette attitude en vaut une autre, comme disait Qui-donc. L'essentiel est que vous ne me détestez pas. Pour moi qui ne puis pas continuer à vous lancer des interminables ‘Je vous aime’ - tout est là. Duco Perkens a tué Pensierosa, ne saurait-il la faire revivre? Jamais! Il ne faut jurer de rien.

Parlons d'autre choses (puisque l'énergie me manque, et la perspicacité, pour vous fournir des ‘solutions’, même fausses.)

Savez-vous que j'aimerais toujours savoir ce que vous pensez du voyage projeté, ou proposé, du moins? Mais écoutez ma vie.

Ma situation avec mes parents se corse de plus en plus. Pour le moment on est trop mielleux, il faudrait prendre avant peu des résolutions! Par contre mon père semble avoir fait de mauvaises spéculations et se trouve très malade. Il a été jusqu'à sortir son testament et dire qu'il croyait ‘ne plus en sortir’ (de sa maladie). Il se peut qu'il meurt; il se peut qu'il soit ruïne - ou à moitié -, ma vie s'en trouverait changée. De toute façon une revision de ces existences mal-associées s'impose. J'ai eu encore d'autres ‘aventures’, qui pourraient avoir leurs conséquences. Mais pour le moment la maladie de mon père domine tout - matériellement parlant.

Nous partons demain à Assche (château de Bergen, chez Mme Henny, souvenez-vous); mes parents comptent y rester un mois et demi (si le Bon Dieu le permet s'entend). Moi je ne sais rien. Tour à tour Assche, Bruxelles, Anvers probablement.

Je vous envoie les Calligrammes d'Apollinaire (qui viennent de reparaître), et la moitié du dernier Paul Morand. L'autre moitié suivra bientôt; je l'ai prêté à une dame ayant eu des relations avec plusieurs Allemands.

Au revoir Julia-dear, continuez - de façon moderne, c'est entendu - à me vouloir du bien et vous verrez que la vie est plus simple, est toujours plus simple, qu'on ne veuille parfois le croire. Moi aussi, je vous veux du bien. Veramente. Croyez-moi en tout cas (même condamné)

bien votre

Eddy

Origineel: Den Haag, Letterkundig Museum

17Elle disait aussi: ‘On est ainsi’.
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