E. du Perron
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Julia Duboux

Brussel, 4 september 1925

Bruxelles, 4-9-25.

Ma chère Julia,

J'ai attendu votre retour aux Mousquines pour vous écrire; des choses d'ailleurs m'ont empêché de le faire - c.à.d. de le faire avec soin! - plus tôt. Mais maintenant voilà que je suis loin d'être sûr si ce que je vais écrire - Ah la la! comme avait coutume de ne pas terminer Jean de Tinan. (Le connaissez-vous? c'est un auteur aimable, mort à 24 ans d'ailleurs, ce qui est toujours sympathique.18)

Non, je ne vous écrirai certes pas les aventures promises. Après coup elles ne valent pas la peine. Nous avons passé par un tas d'ennuis, petits et agaçants. Mon père, principale cause - autant que victime - de tout cela se trouve toujours dans ce sanatorium à Breda (au fait, vous en ai-je parlé?) Ma mère est avec lui. On lui donne beaucoup à manger, malgré toutes ses protestations, ainsi on lui a rendu 6 livres ½ que la maladie lui avait enlevées. Il rentre en possession de son petit ventre.

à part cela il reste insupportable; tout ce qu'il y a de plus grincheux. C'est toujours, dit-on, la maladie.

Moi je ne fais rien: toujours ma maladie. Pourtant j'ai des ennuis particuliers, mes ennuis. Ah surtout, que je ne vous en parle point! Plus tard, si vous voulez, le sourire aux lèvres.

Ce qui est certain c'est que je ne demanderais pas mieux que de vous avoir près de moi, ces temps-ci; vous avant tout autre; vous, avec votre tendre intelligence. Vous êtes un peu comme la lumière de l'Italie (de la Toscane en particulier, à en croire Barnabooth.)

Qu'avez-vous fait six semaines tout près des montagnes? Songer-songer-songer.... Ce n'est pas sérieux.

Voyons Julia-dear, ce n'est pas sérieux!

Vous ne me souhaitez point votre mémoire; pourtant ma mémoire à moi - si je voulais! Mais j'ai ce qu'on appelle: un plus ‘heureux caractère’.

Oscar et Violette sont venus, ils se sont embrassés et ils étaient ridicules aussi, un peu, me dites-vous; ma foi, je le crois bien! Mais ne le leur dites pas non plus; ils finiraient par être furieux de ma supériorité, qu'ils considéreraient comme fausse d'ailleurs.

Ici Pia est venu, me tenir compagnie pendant une semaine. Bruxelles - ou moi? - l'a exaspéré. Avant lui il y avait la dame hollandaise de Menton. Je l'ai ‘balancée’, avec toutefois assez d'hypocrisie (elle m'avait prêté 3000 francs). Avant elle il y avait Willink, venu d'Etretat, en douce France, avec sa bonne amie. Je me suis querellé avec cette dernière-nommée. Elle m'exaspérait un peu: elle était rèche, stupide, bornée, prétentieuse, institutrice, et elle essayait de cacher tant de qualités; elle avait aussi les lèvres trop fardées.

J'ai terminé un rapport sous forme de ‘conte’ que j'ai intitulé Séances pour un portrait de dame. Je vous le traduirai un jour. C'est, à défaut de qualités littéraires, peut être assez représentatif, quant à mon état d'esprit actuel. Je suis peut-être un peu à plaindre?

Vraiment, Julia, j'aimerais beaucoup vous revoir. J'aurais beaucoup à vous raconter, assez à vous dire, probablement. Ne croyez pas que je ne pense pas à vous (ayez de la sympathie pour cette phrase malhabile); mais je déteste de plus en plus écrire.

Quand nous reverrons-nous, Julia-dear?

Je reste bien vôtre.

E.

Origineel: Den Haag, Letterkundig Museum

18Et pour un auteur même assez roublard.
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